A cette époque de notre vie, il y a environ quarante ans, une fois l’école primaire terminée, poursuivre nos études au collège impliquait de se rendre dans la ville de B., située à 40 kilomètres du village.
Certes, il existait des moyens de transport, soit des taxis : mais trop onéreux pour nous, soit des cars dont les prix étaient plus abordables. Par conséquent, pas le choix; nous dûmes nous lever très tôt, accepter de quitter nos familles (pour une durée indéterminée puisque nous étions internes) prendre le chemin qui mène à la route pour attendre l’éventuel car aux horaires plutôt capricieux. Le moins qu’on puisse dire c’est que nous manquions d’enthousiasme à l’idée de nous séparer de nos affectueux parents.
L’attente du car n’était pas sans vague inquiétude. Nous paniquions surtout lorsque le car, pour des raisons inconnues, ne passait ou ne s’arrêtait pas. Nous ressentions alors impuissance et découragement.
C’était une tragédie ce que révélait l’expression de nos visages.
Pas étonnant alors que nombre d’écoliers d’origine sociale modeste décidèrent de quitter l’école. Si l’indicateur du décrochage scolaire avait été disponible à ce moment-là, il aurait enregistré une augmentation notable.
Cela me rappelle l’histoire de cet élève, dont je m’abstiens de préciser l’identité, qui jeta son cartable rempli de ses livres au fond d’un puits en se rendant à l’école.
Savez-vous pourquoi il avait une forte envie de se débarrasser de son cartable ? C’est bien des années plus tard qu’une explication possible de son geste m’est apparue : il en avait certainement assez de se lever tôt presque tous les jours et d’avoir à surmonter des obstacles trop nombreux pour un enfant.
Par ce geste, il décidait d’en finir avec les études.
Il est regrettable de dire qu’il a fait ce que le système attendait de lui : renoncer et ce, en dépit de la déception de ses parents. C’est en vain, qu’ils tentèrent de lui faire entendre raison.
Pourtant, certains d’entre nous ont tenu bon. Pour quelles raisons ?
Pour l’amour de nos parents qui, bien que conscients des difficultés que nous rencontrions, savaient que l’école était la seule issue possible pour nous. C’est pour ne pas les décevoir, pour ne pas perdre une infime partie de leur amour (et de l’espoir qu’ils plaçaient en notre avenir) que nous avons surmonté tous les obstacles rencontrés jusqu’à l’âge adulte. Grâce à eux, nous ne sommes pas tombés dans le piège tendu.
Tant pis pour les peurs vécues. Tant pis pour les kilomètres qui, au fil des années, ne cessaient de s’allonger entre nos parents bien-aimés et nous. Tant pis pour les quelques têtes de bétail vendues pour nous permettre de poursuivre nos études et nos rêves à l’étranger.
Des sacrifices d’amour partagés entre nous.
Ecole